« Là-bas »

Billets

Hier soir dans le Marais, panique générale : les gens courent dans les rues, se réfugient dans les boutiques. La notre « la piscine » est prise d’assaut par deux hommes paniqués, ils courent au fond du magasin, rapportent qu’ils ont entendu des coups de feu, des militaires (devant le musée d’Art et d’histoire du Judaïsme) se sont mis en position de combat…

Du coup la dizaine de clients présents écoute, choqués, les consignes des gérantes du magasin et tout le monde se met en position du fœtus  au fond du magasin, ma fille de 8 ans pleure…

Pas de réseau.

Des clients anglo-saxons demandent ce qu’il se passe, on leur traduit le peu d’infos perçues jusque là : des clients d’une terrasse toute proche ont pris la fuite suite à des coups de feu.

J’insiste auprès de l’un des deux témoins :

« Des coups de feu, vous avez bien entendu des coups de feu ? »

– En tout cas j’ai vu des militaires l’arme à la joue.

20 minutes plus tard, une jeune passante en pleurs, très choquée demande à entrer dans la boutique à la porte (close) à laquelle j’ai rejoint une vendeuse. On lui ouvre, son ami préfère rester dehors « il n’a pas peur » dit-elle.

Elle a ce masque de frayeur sur son visage, elle est pâle, tremblote, répète que « c’est la folie dans la rue, les gens courent dans tous les sens, se bousculent ». Je rejoins ma famille au fond du magasin, toujours couchée. Je vois des gens marcher dehors, instant irréaliste : une personne promène son chien tranquillement pendant que d’autres courent autour d’elle.

Ma fille ne pleure plus, je lui explique que tout va bien, c’est comme l’été dernier, en Israël, quand on se réfugiait au fond des boutiques du souk quand les alarmes retentissaient. Elle a l’air mieux, mon fils observe, serré contre ma femme, je bous de rester là à ne rien faire.

Je retourne à la vitrine, à environ 30 mètres du fond de la boutique : des gens continent à courir comme des dératés.

Le fils de la gérante explique au téléphone fixe que sa boutique à lui aussi est prise d’assaut par des passants. Le quartier est en panique générale.

ça ne peut plus durer, la psychose s’installe parmi nous, une touriste américaine tend à mes enfants des pastilles pour la gorge, explique que ce n’est pas des bonbons… STOP.

Aucune info n’est sûre. Le seul parmi nous à avoir du réseau sur son téléphone le perd sans arrêt. Quoiqu’il arrive dehors, je dois apaiser mes enfants car leur peur n’est que le fait de leur environnement. Je plaisante avec ma fille, mon fils de 5 ans -habillé en cowboy- a la main sur son revolver. « tu nous protèges, hein ? » Il acquiesce, a peur quand même.

ça se calme, je décide de sortir. Tout le monde nous dit de ne pas aller « là-bas », la direction de Beaubourg, là où est garée notre voiture.

Dehors un groupe d’hommes affolés m’explique qu’il ne faut pas remonter la rue -ma voiture y est garée- que là-bas « il se passe des choses ».

–  N’allez pas là-bas! Surtout avec les enfants !

Apocalyptique. Devant nous une terrasse déserte, des chaises renversées et du verre cassé partout. Je laisse ma femme et mes enfants en arrière, m’avance vers le café. Un serveur armé d’un balais vient d’y entrer, je vais le voir à l’intérieur, il m’explique que les gens ont paniqué, qu’ils ont quitté leurs chaises en courant, beaucoup de verre cassé par terre.

Un groupe de filles passe, l’une d’elles dit qu’il ne faut pas aller « là-bas »,
qu’elle a vu du sang sur la terrasse.

Et puis une voiture s’arrête près de ma femme et des enfants restés en arrière, je les rejoins. Deux flics en civil : y’a rien, seulement un mouvement de panique.  L’un d’eux, main sur son talkie walkie me dit :

« retournez vivre votre vie, y’a rien »

Et de fait : il n’y a rien eu.  Ni ici, dans cette rue d’où sort une jeune femme en bousculant mon fils pour se réfugier derrière la porte d’en face, un autre engueule la fille apeurée.

Seulement deux trois connards qui ont balancé des pétards rue de rosiers en criant « Allah Akbar ». Impossible à vérifier. Plus tard j’apprendrai qu’un chauffage a sauté sur une terrasse… que la Place de la République a connu un mouvement de foule gigantesque, les policiers au taquet ont été pris de court.

Seulement il n’y avait rien. Ni ici ni « là-bas », rien. Rien d’autre que la terreur. Sur les visages de ces gens dont les traits ont découvert une région d’eux mêmes inconnue. La peur. Résultat du terrorisme.

Pas peur, moi. Pas envie d’avoir peur, donner raison à ces types-là.

Triste, très triste. Pour ces 129 victimes et 352 blessés que j’aime sans les connaitre. Me suis rendu compte de ça samedi matin : j’étais triste. Putain ce truc au fond du ventre qui remonte en une vague en latence dans la poitrine. Pourquoi ?

La proximité peut-être : rue Bichat, j’ai habité 5 ans à 120 mètres des fusillades. Les gérants du petit Cambodge étaient mes voisins de paliers. Ces rues, Alibert, la Fontaine au roi, nous y avions nos habitudes, nos commerçants. Hypercacher le 7 janvier dernier, j’y étais 25 minutes avant que l’autre abruti n’y entre.

Mais y’a pas que les parisiens qui sont tristes. Y’a des millions de gens, partout dans le monde. Alors c’est que cette tragédie n’est pas ponctuelle. Elle est intemporelle car elle s’inscrit dans nos valeurs les plus simples, les plus élémentaires : se réunir, se divertir.

Ils veulent mettre fin à tout ça. Ils veulent qu’on aie peur. C’est la définition même du terrorisme.

Imaginez si l’on continue à sortir, boire, danser et se réunir, rire… vivre. On ne peut pas faire grand chose contre une kalachnikov et un lobotomisé heureux de mourir. Mais on peut emmerder l’idéologie pourrie qui l’envoie se faire tuer.

Juste en continuant à vivre comme notre système républicain nous le permet. N’ayons pas peur.

Un jour chez Ardisson, Beigbeder a proclamé « le droit à la frivolité », le point d’orgue de la démocratie.

La formule m’a interpellé car sur le coup une partie des invités du talk show l’ont méprisé. Mais vive la frivolité !

Vive la vie. FUCK daesh ! et les raccourcis idéologiques.

Y’a pas mal de petits cons qui vont s’amuser à jeter des pétards dans la foule, chercher à profiter de la terreur ambiante pour assouvir leur imbécilité malsaine. Soyons raisonnables et pensons aux plus fragiles qui nous entourent : pas de peur inutile.

Hier soir dans les rues du Marais y’avait des camions de pompiers en pagaille.

Les blessés l’ont été par la foule, la panique.

Soyons cool : les enfants nous regardent. Lors du traditionnel up & down de fin de journée, mon fils m’a dit que son down était la fausse alerte.

« Fausse alerte »

Fausse… alerte

Keep calm.

Il est 10:59 et je suis vivant. Triste, mais vivant. Combattons les terroristes en vivant. Ne les laissant pas nous emmener « là-bas » Ici et maintenant : Vivons !

Une réflexion sur “« Là-bas »

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