La réécriture : corvée ou volupté ? le style en filigrane

Billets

A l’occasion de la découverte d’une œuvre majeure de Robert Louis Stevenson -dont l’île au trésor est considérée comme la référence en matière de littérature d’aventure – je me délecte de la préface de Michel Le Bris de cet autre trésor : Trafiquant d’épaves. L’occasion pour moi de me détendre et de voir le travail de ce génial auteur. Jugez plutôt de cet extrait d’une lettre où il conte son arrivée au théâtre de son roman :

 

« Le bateau tourna sur sa quille, l’ancre plongea : cela fit un petit bruit, mais un grand événement, car mon âme descendit avec cette amarre en des profondeurs d’où le cabestan n’aurait pu l’extraire… »

 

Passé cet extraordinaire incipit difficile d’opérer un jugement sur sa lecture : le texte nous embarque et nous devenons, contre notre gré, un passager.

N’est-ce pas notre ambition à tous que de tirer le lecteur à sa condition pour en faire un membre à part entière de notre aventure ?

 

Voilà pourquoi au-delà de l’histoire de ce livre je tiens à vous en exposer la trame : son écriture.

 

L’idée est venue à Stevenson après avoir flirté avec la canaille des ports et ses mythes qu’elle entretient savamment au détour d’une chopine. En croisière en famille à bord de son yacht au large d’Honolulu Stevenson évoque une sombre histoire de navires échoués et de marins disparus. Quand vint l’idée à son gendre Lloyd Osbourne que le dénouement officiel n’est peut être qu’un canular destiné à éloigner les  velléités pécuniaires de quelques marins bien contents de leur statut de « disparus en mer ». Il n’en faut pas plus à Stevenson pour imaginer un roman s’appuyant sur des faits réels et un mystère insoluble. (dixit Le Bris)

 

Alors voilà le génie – Stevenson- et son gendre lancés dans l’entreprise de co-écrire un roman d’aventures avec pour cadre les mers du Sud.

 

Alors, pourquoi vous raconter tout ça ? Parce que c’est au gendre de Stevenson que l’on doit des mois de recherches et à Stevenson le « [u]traitement[/u] ».

 

il y a eu une telle investigation des deux hommes que l’on est en droit de se demander à qui revient le succès de ce livre, best seller dès sa sortie.

 

Et bien, en fait -on y vient- le projet se décomposait en deux phases : la matière et la manière.

 

A Lloyd les recherches -parfois dangereuses- sur les trafiquants : la matière. A Stevenson, la manière de l’écrire.

 

Je cite Le Bris : « le traitement c’était, comme toujours pour Stevenson, la clef de l’affaire ». Ce qui, à ses yeux faisait d’un texte une œuvre[/b]. Une critique paresseuse a voulu voir dans la collaboration avec son gendre l’aveu par Stevenson d’un moindre intérêt : : une œuvre de circonstance, une œuvrette bâclée pou raison de finances. C’est d’abord ignorer qu’en fait de « livre bâclé » ce roman commencé vers juillet 1889 ne fut achevé que dans l’automne 1891, plusieurs fois repris, revu, poli et repoli. C’est surtout manquer du tout au tout ce qui fait son génie (…) Chacun de ses romans était une question posée à la littérature, chaque fois différente –et donc à la littérature qui l’avait précédé, aux stratégies narratives déjà expérimentées, aux formes de récit qu’avait imposées tel ou tel. Ce qui pour autant n’en fait pas un génial précurseur de la déconstruction, un militant de l’intertextualité : ses références littéraires en abyme, sa virtuosité à jouer avec les codes, à en éprouver les subtilités et à les transgresser ont pour seule fin chez lui  d’en découvrir les limites. Et pareillement pas de littérature vivante qui ne soit attentive à mettre à nu les codes, les tics, les clichés « littéraires » à jouer avec eux, à déjouer leurs pièges, jusqu’au point où s’éprouve le  vrai mystère de l’écriture : ce qui parfois affleure à travers les codes (…) l’indicible.

Puisqu’il n’y a de littérature que dans la tentative de manifester l’indicible. S’il n’en était pas ainsi, pourquoi nous obstinerions-nous, depuis l’origine des temps, à nous raconter des histoires (…) SI tout était dicible, tout serait dit depuis longtemps ».

 

Voilà pourquoi « le style » ne peut donner lieu à définition, il est une entreprise tendue vers l’indicible.

 

Il en allait donc ainsi du premier jet du gendre et ses investigations : c’était là la matière à laquelle Stevenson allait faire son œuvre.

 

Je cite Stevenson «  Quel bonheur d’avoir le terrain ainsi défriché et de pouvoir du coup s’offrir le luxe du seul vrai plaisir de l’écriture : réécrire ! »

 

A l’heure où, grâce à l’irremplaçable concours de Cukrapok, je réécris mon roman « sors de moi… » mon premier élan à  la lecture des commentaires a été le découragement. Et maintenant, en avançant petit à petit dans la réécriture de mon livre (4ème chapitre sur 22) je me rends compte que de la réécriture nait le plaisir originel d’écrire : dire avec ses mots ce que d’autres ont déjà mille fois débattu. Si poser le dernier point d’un roman est un exploit en soi, il est jouissif que d’avoir à le revoir jusqu’à la moindre petite ligne. Car une fois les bases jetées, les personnages campés, le dénouement… dénoué ( !)  vient le travail de l’écrivain : écrire.

 

Alors, à tous ceux qui sont dans cette phase là de leur roman, dites-vous que de vos heures, vos jours, vos semaines voir vos années à réécrire, de là ressort votre talent. Et puisque ce sujet rejoint un précédent largement débattu –sans solution puisque insoluble- je dirais que réside là et là uniquement votre style.

 

De Stevenson certains détracteurs disaient qu’il était un excellent imitateur d’autres plumes éditées avant lui : Cooper, Defoe, Smolett, Kingsley, Edgar Poe, Kingston, Irving. Qui de ceux-là  l’histoire a reconnu l’œuvre comme monument ?

 

Cet analyse que je fais mienne de Stevenson prouve qu’en fait de style, la vie est la matière votre plume la manière. A vous de la sublimer, même dans ses instants les plus fragiles, ses détails les plus infimes, pour en extraire l’indicible.

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