… ou comment mon deuxième stage de récupération de points à Paris III (Rambuteau) est devenu une hilarante rencontre avec des personnages. Mes respects à chacun d’eux s’ils se reconnaissent, je n’ai pas l’impression d’avoir forcé le trait mais seulement posé ma plume sur leur détonante personnalité. Je garde de vous tous un excellent souvenir.
Au menu :
Une péripathétiblonde
Un alcoolique de 22 ans
Un analphabète qui ne parle qu’arabe
La réincarnation de Bernard Blier (humour, physique : tout y est)
Une star de la chanson incognito
Jamais je ne me suis jamais autant marré en deux jours. A ce titre, les 250 euro déboursés pour le stage tant décrié ont été bien employés.
Convocation à 8:15 : je me lève à 6h30, réveille mon mini-moi de 2 ans, file en RER jusqu’à Rambuteau, dépose le fiston au beau père : chouette, avec le métro on arrive à l’heure. Tout le monde arrive à 8:15. Sauf un. Le premier animateur se pointe à 8:35, ne s’excuse pas. Le second se pointe à 8:45. Idem. Agacement général, mais muet.
Un dernier gus se pointe à 9h. On apprendra plus tard qu’il est directeur commercial d’un groupe de média. Physique filiforme, bouclettes brunes blanchies aux tempes, il a la dégaine des mannequins anonymes de chez Kooples ; il n’a pas lâché son portable.
Après leur arrivée tardive, nos deux animateurs s’activent seuls sous nos regards mal lunés, font connaissance à voix basse. Impression d’assister à un spectacle de Guignol mais sans les enfants. Dans notre lot de héros du jour, y’a un beur, sympa, volubile, une bonne quarantaine, il donne accessoirement des cours en universités mais cumule les fautes de Français. L’autre est moins marrant : 45 ans, provincial, écolo le front très dégarni, archi rigoureux ou s’en donnant l’air : il se la joue cool mais nous fait la morale toutes les deux secondes. Ses petites lunettes cerclées de métal accentuent l’intransigeance de ses jugements. Là où le premier nous rappelle la loi avec le sourire, lui balance de grands sermons.
Quand notre directeur-co pianote sur son portable, le sévère s’énerve et pète un câble : postillons, joues écarlates, on craint le malaise. Mais l’animation est inespérée et au marasme de cette matinée perdue se substitue peu à peu un intérêt mal perçu. Car on est tous abasourdis de voir notre petit chef irascible nous causer savoir-vivre sur la route d’une voix mielleuse… et perdre son calme au bout de 10 minutes. Finalement, sous la houlette de votre serviteur, il se fait prendre à partie par 5 « stagiaires » et l’affaire tourne au pugilat. Certains s’emportent vraiment, d’autres jouent tranquillement avec l’accélérateur. On se marre. Il est à peine 10 heures, ça commence bien.
Dans la suite des présentations, vous avez :
Un étudiant, tout sympa, qui débarque de sa province. On apprend qu’il a fait plusieurs tests médicaux, qu’il est alcoolique et qu’il se soigne (22 ans). Son visage est celui du gars qui ramasse votre portefeuille pour vous le rendre, il a un col roulé bleu rassurant et l’annonce placide de son alcoolisme lui donne un air louche. Il est assis sur ma gauche à deux places de moi et j’ai la paupière du même côté qui tremble.
Un autre gars se présente comme artiste, nous explique qu’il a conduit très jeune des voitures très puissantes (on comprend qu’il s’agit de Ferrari) L’animateur lui dit de préciser son art, le type dit « chanteur » ça piaffe : il a l’air bien prétentieux cet inconnu à annoncer ça au milieu de tous ces cadres sup’ (…)
3 heures passent, pause café, salle quasi déserte et le type enlève ses lunettes (de vue) : oh Saperlipopette ! Je connais cette gueule, c’est Alain Chamfort. Bêtement, je m’excuse de ne pas l’avoir reconnu plus tôt, il me dit en souriant « pas de problème », et je reste discret. Le pire c’est que le gus prend la parole de temps en temps sans que personne ne le reconnaisse, je me dis qu’il a du se prendre une bonne claque pour son égo quand l’animateur lui a demandé de préciser ce qu’il faisait, dans l’indifférence générale.
Une autre : fessier bombé et ferme, taille de guêpe, poitrine opulente, la cinquantaine refaite, maquillée vulgaire. Quand on lui demande ce qu’elle fait dans la vie elle dit, ingénue : « coach sportif ».
– Mais encore ?
– Je travaille à Boulogne, c’est d’ailleurs là-bas que j’ai chopé mes excès de vitesse »
L’animateur lui dit
– Mais y’a pas de quoi faire de gros excès au bois, la journée, non ?
Là elle répond un peu gênée :
– J’ai des horaires décalées… je travaille la nuit.
On s’en serait douté. Lorsqu’un cinquantenaire cadre dans le nucléaire balance :
– C’est nul, on n’a même pas de café dans ce stage !
Je lui glisse :
– Ouais, mais on a des putes.
J’ai jamais été capable de chuchoter : hilarité de toute une partie de la salle, l’autre reste scotchée aux autres énergumènes qui se succèdent lors de ce tour de table.
Le stage se poursuit, sans incident notable mais avec une tension positive palpable : tout le monde est au taquet, conscient que là, il se passe quelque chose.
Le lendemain, la journée s’annonce bien morne avec ses études statistiques mais j’ai quand même l’occasion de me taper avec mon voisin de table un fou rire tel que j’ai dû quitter la salle pour ne pas incommoder ceux qui suivaient. Mon voisin est resté, il a le rire muet.
Mais bon, je vous raconterai ça plus tard, je continue mon tour de table :
Dans la vingtaine de stagiaire y’en a un-que l’on appellera Momo- qui est un sacré type : il se tait 99% du temps, souffle quand une question est posée et quand il l’ouvre… quand il l’ouvre : c’est juste hilarant. Pour se l’imaginer il suffit d’imaginer un gars de taille moyenne, un embonpoint indéniable, le visage gonflé, des bajoues parsemées de poils, des gros yeux globuleux et une voix qui sonne comme une insulte. L’animateur :
– Vous faites quoi dans la vie Momo ?
– De tout. (Sursaut d’orgueil) Mais à mon compte !
– C’est-à-dire ?
– Ce qui se présente.
Chaque réponse est ponctuée d’un geste ample de la main
– Vous conduisez quoi comme véhicules ?
– De tout.
– C’est-à-dire ?
– Camions, voitures… de tout quoi !
– Vous faites quoi comme infractions le plus souvent ?
– Moi ? J’ai rien fait m’sieur ! c’est juste que les condés ils étaient là, quoi.
– Mais… ?
– Vitesse m’sieur ! Voilà, faut dire, vla ce qu’on me donne pour travailler : une S.500. Moi, on me dit : tu vas de là à là. Alors je prends la S.500 et je course. Et la S.600 c’est pareil. Je roule ! La S.300 aussi !
– La S 48 ? (formulaire administratif d’annulation de permis)
– Ah non ! Ca je prends pas !
– Mais sinon, Momo, vous savez combien de points il vous reste ?
– Ah ça non, je sais pas (haussement d’épaules) : le juge, il a pas dit ! »
Beaucoup plus tard il rouvrira la bouche pour notre plus grand plaisir, lorsque l’autre animateur lui demande ce qu’il pourrait opérer comme changements pour améliorer sa conduite :
Réponse de l’intéressé :
– ben tu vois, moi le problème, c’est les stop. Dès fois à 5h du mat, à Paris y’a personne, ben je passe, moi.
– Mais non ! Il faut s’arrêter au stop !
– Voilà : c’est ce que je dis. Je m’arrêterai s’ils mettaient des feux rouges à la place parce que le feu stop…. (mouvement des mains hésitant) on sait pas ce qu’il dit ! Tu passes ? Tu passes pas ? Tu vois, ça c’est pas logique.
Gerard, notre cadre dans le nucléaire petit homme trapu assez drôle lui répond :
– Non mais Momo, le truc c’est pas de remplacer les stop par des feux rouges, le truc c’est de t’apprendre le code »
Le personnage que je vais vous présenter maintenant a été le premier –après moi- à prendre la parole. Dans la salle endormie à 8 :30 du mat, dès qu’il a ouvert sa bouche on s’est tous dit que le stage promettait d’être amusant : un excité !
Petit, maigrichon, une espèce de bracelet en cuir, barbe de trois jours, incapable d’aligner deux phrases sans gesticuler. Nous l’appelleront Soan (pour ceux qui connaissent le chanteur, il a le même physique)
Alors lui, déjà, c’est le cas désespéré du groupe : déjà 2 permis de fumés, il est là parce qu’il a (encore) reçu la fameuse lettre RAR S48i, celle qui dit bye bye à votre permis de conduire. Plombier de son actif, il a le sang chaud des Espagnols (origine qu’il revendique) il a une logique virile assez obtuse et une haine viscérale du système. L’animateur (le gentil) :
– Alors Soan, j’ai cru comprendre que c’était là le stage de la dernière chance… vous n’avez peut-être pas conscience de la gravité de la situation. Vous avez déjà eu des accidents ?
– des tas !
– Et y’a eu de la casse ?
– 10 voitures.
– 10 voitures ? Mais vous avez du faire des blessés ?
– Aucun monsieur. J’étais seul.
– Mais on ne casse pas une voiture sans créer des dommages autour de soi !
– Moi j’ai blessé que des arbres.
L’animateur ne sait pas s’il doit prendre Soan au sérieux, se rassure lui-même en devenant taquin :
– En fait, Soan, vous en voulez aux arbres ?
Soan, très sérieux :
– Moi, je respecte tout le monde. Je suis très respectueux… du moment qu’on me respecte.
Écarquillements de sourcils dans la salle. L’animateur lui demande de poursuivre :
– Ben ouais : un motard y peut passer devant moi quand je suis avec ma camionnette. Mais putain ! S’il démarre pas quand c’est vert, là, je me vénère !
– Et vous faites quoi, quand vous vous « vénérez » ?
Soan, très calme, les bras croisés, le regard bas :
– Ca dépend. Y’a plusieurs moyens de se faire respecter…
– Il suffit d’avoir une conduire respectueuse.
Nouvelle envolée de Soan, ses bras virevoltent dans le vide :
– Mais le mec me respecte pas en me faisant chier à passer devant moi sans démarrer !!
Qui s’énerve pas quand c’est comme ça ?
Il a beau prendre l’assistance à témoin, personne ne lui répond, sans doute tous perdus entre crainte ou stupéfaction. Etant donné le petit gabarit de Soan j’ai tendance à penser que c’est le 2.
Plus tard, dans le cadre d’un travail en mini groupe, tour de tables de nos estimations du nombre de tués sur la route (89 000). Soan annonce un chiffre hallucinant (400 000) l’animateur ne comprend pas un tel chiffre, Soan défend sa position, en vain. On finit par lui faire remarquer, dans un rire général, que par blessés, on n’entend pas les arbres…
Je vous ai parlé de ce type cadre dans le nucléaire, qui ponctuait de temps en temps les interventions de chacun d’un bon mot. Pour vous le situer, c’est Bernard Blier avec des cheveux, assez petit, grosse voix caverneuse et faciès sympathique. Son record de vitesse est de… (il doit avoir dans les 45 ans) 170 km/h. Pas vraiment un excité, il a perdu ses points car il fait 60 000 km par an (entretien des centrales) et se fait gauler par les passages de 130 à 110 km/h sur autoroutes. Nous l’appellerons Bernard. Lui est revenu le privilège d’un fou rire général à propos des différentes conséquences de retrait de points. On a ainsi appris qu’on ne peut passer indéfiniment des stages (1 par an) et que s’en suivrait un rendez-vous obligatoire avec un psychologue. Forcément, se voir retirer tous ses points de manière répétée, on ne peut être qu’un dangereux criminel ! Remarquez que si la consultation est aussi sérieuse que le stage, ce devrait, à l’instar du précédent, n’être qu’une formalité parmi d’autres pour nous prendre du temps… et de l’argent.
Afin de nous faire prendre conscience de notre irresponsabilité l’animateur (le méchant) nous disait à quel point les stagiaires ne se rendaient aux stages qu’une fois leur capital de points bien entamé. A contrario, il nous fait part (les yeux mouillés d’émotions) du cas exemplaire d’un stagiaire catastrophé d’avoir perdu 1 point (soit 11 restants) et qui a dépensé 250 euro et 2 journées pleines pour n’en récupérer finalement qu’un. Haussement de sourcils de Bernard, sa grosse voix a ponctué l’anecdote d’un stoïque :
– Et lui, vous ne l’envoyez pas chez le psy ?
Enfin, et j’en arrêterai là, je vous ai parlé de notre stagiaire avec jean extra slim et talons de 15 cm… Nous l’appellerons Brigitte. Ben à la fin du stage l’animateur a fait un tableau en notant :
1/ l’infraction la plus courante
2/ l’avantage qu’on en tirait
3/ le risque.
Notre amie péripathétiblonde annonce, de sa voix fluette, totalement ingénue :
– moi, c’est la vitesse.
L’animateur sourit, sans doute sous le charme, se risque :
– Et en roulant vite au Bois de Boulogne, Brigitte, vous risquez quoi ? »
Je réponds à sa place, assez discrètement pour ne pas la vexer :
– Elle risque de perdre des clients !
Hilarité continue de mon voisin de table et, victime de ma propre blague, je suis parti également dans un fou rire insurmontable, largement relancé par les réponses de Brigitte
– Ben oui, quoi… je fais pas attention… hein… »
J’ai du quitter la salle, pleurer et revenir, exténué.
Je le sais, lorsque j’ai conté ce stage sur mon forum d’amateurs de vieilles anglaises (les voitures) plusieurs m’ont demandé des nouvelles d’Alain. Et bien notre Alain, une fois que l’un des animateurs l’a reconnu, se l’est joué encore plus discret. Mais Finalement à une pause il m’a causé un peu (je venais d’acheter une BD, Dracula) mais trop tard : le stage reprenait. Sinon… ben il a avoué avoir roulé très vite dans le passé mais ne conduire qu’une Smart maintenant à Paris et prendre le train dès qu’il en sort. Rien de plus sinon qu’il est assez classe et sobre. Les vraies stars, c’était les Momo, Soan, Brigitte… stars sans le savoir.