28 novembre 2014, concert du maestro à Bercy : j’y étais. Après un show soigné… Stromae balance un dernier « merci » et crée le malaise.
Arrivé les mains dans les poches sans bousculade par la porte F : ça a du bon de passer par le parking. Ambiance détendue à l’intérieur, et un profil de spectateur impossible à dresser : beaucoup d’enfants, parfois en deçà de 5 ans. Et des cheveux blancs, des gris, des ados… Stromae fédère. Avant que le show ne commence –avec une demi heure de retard– ça sourit beaucoup dans les gradins : on sait qu’être assis ici, maintenant, est un événement. A 20 heures, l’heure du show, beaucoup de sièges restent vides, la fosse est remplie, une foule énorme attend encore derrière les vitres du hall principal.
Certains enchainent les aller retours à la buvette (la bière coule à flot) l’ambiance est bon enfant, deux spectatrices sans autre lien que le motif de leur chemise maudissent sans le dire l’incongrue connivence…
Les lumières s’éteignent et la première partie commence. Elle durera longtemps (25 minutes) : l’artiste débarque seul avec sa guitare sans se présenter. Il joue bien, chante bien mais dur, dur de chauffer 17 000 personnes -même enthousiastes- avec de la guitare sèche et une voix suave. S’ensuit des banalités en rafale (I love You Paris…) Vite entendu, vite oublié.
Les lumières se rallument et les gradins achèvent de se remplir : la voix Off annonce 20 minutes d’entracte. Aux bières succèdent les allers/retours aux WC…
20 h43 : le show commence. Projection d’une machinerie avec des petits Stromae en culotte courte et chapeau melon. Le dessin animé est bien fait, rappelle le show de Gad Elmaleh vu 3 jours plus tôt au palais des Sports. C’est propre mais pas bouleversant, voir même trainant un peu en longueur. Stromae apparait. Ça démarre direct, basse, refrain qui tue « Tu aimerais faire la fêêêêêête… » et le coup de pédale au moteur d’une grosse voiture froide me revient.
Trois morceaux s’enchainent, la voix de Stromae est pure, colle tellement au CD que je cherche la dissonance authentique qui ferait de cette soirée un événement. Mais non. Je reste assis, comme tout le monde autour de moi. A ma droite, de l’autre côté de l’allée, des grappes chétives se dressent : moins de 6 personnes, ils hésiteront avant de se rasseoir, ça ne prend pas et je commence à trouver la situation gênante. Mon voisin direct est stoïque. Là, je me dis que le concert tourne au fiasco. Aucune vibration, aucun frisson, j’ai le même élan franc et grave qui reste en surface de l’épiderme lorsque Racine carrée rythme mes gestes… en cuisine.
Petite pause, quelques mots… l’artiste nous annonce qu’il a un os du pied cassé, qu’il ne pourra pas danser. Je crie : « Tu sors ! tu sors ! » en même temps que 16 999 personnes poussent un soupir de déception
Que neni ! l’interlude transfigure le show, Stromae danse, chante, joue des baguettes et nous enivre de sa lancinante psalmodie. Sur « Ave Cesaria » il nous ordonne de nous lever, on se lève enfin et quelque chose commence à vibrer. Des morceaux inconnus se mêlent aux autres récités par cœur par la foule et c’est toujours la même musique que Stromae nous joue, avec succès ;
L’artiste est grand, très grand, lui qui réussit à mêler texte grave et musique électronique, danses rendues uniques par son physique d’insecte. Ce genre d’insecte tout en traits, qui se fond avec le décor :
Oui, Stromae qui se meut me fait penser à ça : un élément vivant de l’environnement. Une curiosité difficile à comprendre qui nous captive et on ne finit pas de saluer son talent. Et on y a droit, au talent pur, la débauche d’énergie. Rien à rembourser, Stromae assure.
Jusqu’à la toute fin, quand vient la tournée des « MERCI » en musique, et le chanteur met sa voix au profit des musiciens, frangins, producteurs… certains commencent à partir mais la quasi-totalité de la salle reste hypnotisée par la bête.
La bête ? Non, Stroame me donne toujours l’impression de jouer l’insecte, celui sur lequel nos yeux restent des heures, fascinés. Il se déhanche, se contorsionne et peuple la scène de ses multiples gestes, jusqu’aux mains agitées en expert.
Pas un insecte fou. Un insecte gracieux et effrayant –ils le sont tous– avec ses mots durs (« Polo ne chantera plus… » « Cancer, quand c’est… ») et une distance qui alimente le mythe. Car Stromae est déjà un mythe, à 29 ans, à conquérir la francophonie et jusqu’aux États-Unis avec une musique électronique sur des textes sans légèreté. Oui, Stromae n’est pas banal et sa personnalité devrait m’inspirer. Mais non, il y a chez le personnage un film transparent qui l’hermétise à mon affection.
Un artiste qui vous remue, vous laboure l’âme de ses chants devient intime, mais pas Stromae. Lui reste en marge, avec un doigt tendu, un doigt maigre d’insecte qui montre des blessures ouvertes. Impossible de ne pas se reconnaitre dans au moins une de ses chansons tant le spectre de ses textes est large. « Tu n’as pas sommeil… »
Stromae n’est pas un artiste généreux. Il expose son art, sa musique et son texte et nous bouscule sans prévenir : attention, il va faire mouche.
Stromae est bien un insecte, de ceux qui nous hypnotisent mais qu’on répugnerait toucher. Est-il beau ou moche ? J’ai beau détailler chacun de ses traits, aucun ne m’accroche.
Il effraie les lascars de son jeu de sexe « tous les mêmes… » et ravit les femelles sans les faire fantasmer. Je ne suis pas fan. Je suis absorbé par ses textes, refuse de danser sur la mort, la maladie et… le merci.
Stromae remercie en chanson, façon boite à rythme, du scat matiné d’afrique : un régal. Ça dure bien 10 minutes à jouer avec toutes ses cordes vocales et on adore ça. Le rideau se ferme, place à de longues minutes de musique sans texte, la dernière plage de Racine Carrée. On est dedans, on s’est levé, on a dansé, toute la salle a repris « papaoutai » mais on en revient aux hésitations des premières chansons… une partie se rassoit. Stromae crée l’alchimie et quitte la scène derrière un rideau, parmi les autres. Les autres… ceux bien présents remerciés en musique et celui dont on interroge le voisin voir si on a bien compris la même chose :
– Qui il a remercié, là ?
– Je crois bien avoir entendu Dieudo…
– Dieudonné ? Mais qu’est-ce qu’il vient foutre là ?
Oui, une allumette a craqué dans le long interlude musical derrière le rideau. Stromae est réapparu sur scène, seul et a murmuré :
– Et merci à « tonton » Dieudonné…
Oui, les guillemets traduisent l’espèce de laps de temps ambigu entre le titre et le prénom. Pas beaucoup d’enthousiasme mais un rictus taquin, hommage ou jeu de dupes ?
Reste que le cœur se soulève, l’atmosphère devient irrespirable et tous ces visages enchantés autour de nous hésitent. Certains ont crié, encouragé, d’autres ont applaudi, hué… la majorité est restée silencieuse.
L’info ne sera reprise nulle part, un compte twitter fraichement créé modéré pour cette seule mention « bravo pour ton concert Stromae, j’ai adoré. PS : qui est ce tonton Dieudonné ? »
Spam, activité suspecte… rappel à l’ordre et l’auteure du tweet est dégoûtée.
Et moi aussi. Impression d’avoir été insulté au moment où j’étais vulnérable : enthousiaste, heureux d’être là… finalement dépité.
Alors il faudra nous éclairer Stromae, en musique et texte lourd si le cœur t’en dit toujours, en tout cas cette forme là serait de rigueur, pourquoi la toile ne fait jamais de collusion entre ton succès et l’opprobre de ce sinistre personnage ? Est-ce Universal qui filtre ton image pour maintenir ta bankabilité? Est-ce toi qui te sens étouffé de plaire à tout le monde, à marier tous les genres dans ton public, à ranimer l’amour pour Brel… marre de cette image trop lisse ?
Ce « merci » est venu de longues minutes après tous les autres… après le concert et avant le cadeau, ta reprise a cappella de « Tous les mêmes ».
Mais la surprise était gâchée et ce concert laisse un goût amer qu’il faudra vite nettoyer. Merci ? J’en doute.
« Moi aussi j’aime Stromae ♪ Mais sans merci à Dieudonné… ♬ »